ZéROTOUTROND

 

Rien ne les amuse davantage que le spectacle du désespoir. Expérience édifiante : munissez-vous d'un miroir, que vous brandirez devant le premier désespéré croisant votre chemin. Ainsi vous aurez sans doute l'occasion de l'observer s'extrayant gracieusement de la plus noire mélancolie pour sauter dans le rire, spectacle inoubliable.

 

On l'a déjà dit — ou peut-être bien que non —, certains zérotoutronds sont franchement portés sur la bouteille et boivent comme des trous bien arrondis (c'est qu'ils ont un peu tendance à se prendre pour des Chinois, en particulier pour Li Po*). Ils fument également cigarette sur cigarette, telles des cheminées de crématoriums, et avec la bouche dessinant un zéro ils font des ronds de fumée noire. Mais on ne trouvera personne pour le leur reprocher car les défenseurs d'une vie sobre manqueraient singulièrement d'arguments. Pour des raisons encore non élucidées les alcooliques et les enfumés sont en effet, parmi les zérotoutronds, ceux qui s'éteignent le plus tôt ; or, on l'a dit — ou peut-être pas encore —, il est assez bien vu chez les zérotoutronds de tirer discrètement sa révérence avant l'apparition des premiers cheveux blancs (règle de bienséance qui n'est que rarement observée car on se moque de la bienséance).

*Li Po, qui a écrit ceci : 

mon cheval moucheté, ma fourrure à mille pièces en or / j’appelle un garçon, qu’il aille les échanger contre du bon vin / noyons ensemble la tristesse de dix mille générations.

Ou encore :

ivres nous nous allongeons sur la montagne vide, / le ciel pour couverture, la terre pour oreiller.

 


Le Z. est passé maître en l'art de la prestidigitation. Il transforme la boue en or et inversement, il transforme une déroute en triomphe, une bravade en caresse, une chanson mièvre en sonnet shakespearien. 



Parfois l'alcool n'est pas nécessaire, non, c'est l'excès de rondeur qui l'enivre (L’âme, ravie, au septième ciel) jusqu'à le faire rouler (Le corps, plus humble, sous les tables).

 


 

 


Dernière minute :

Samedi 6 mars 2004, 23 h 08 : (Agence Retorse) Les ZTR indiquent qu'eux-mêmes ne souhaitent pas renoncer à leur train train quotidien. «Même s'il ne respecte que très rarement les horaires annoncés», ont-ils précisé.





FUMANT SEUL SOUS LA LUNE

1 heure du matin à peu près.

Après une morne soirée passée devant la télé j’ai l’impression, assez vague, d’être mort. Mais d'une mort imparfaite, loupée, moche. Je décide, pour me défaire de cette impression plutôt désagréable, d’aller fumer une cigarette dans le jardin éclairé par la lune.

Cette dernière avec la cigarette, mon ombre et moi : ça fait 4.

Mes 3 compagnes restent silencieuses et je leur en sais gré.

J’ai dans la tête un poème de Li Po lu dans l’après-midi et le mot étourdissement entendu, lui, à la télévision.

Sous mes grosses semelles craque l’herbe blanchie par le givre.

La cigarette m’étourdit un peu, sensation qu’accentue encore (à cause d’une légère raideur dans la nuque) ma position inconfortable tête renversée en arrière pour mieux voir le ciel, pour essayer de m'installer à l'intérieur de la nuit.

Très vite je me sens disparaître, je me sens devenir gaz, vapeur, et pourtant cette fois c'est net, c'est propre, et les pensées aussi se défont, s'évaporent ; et je crois entendre quelque chose comme le chuintement de la mécanique céleste.

Débordant de désir, à jamais seul, écrasé, ravi.  






C'est contre les pensées et pour sauver ma peau que j'écris.









Je suis toutes les choses, tous les hommes et tous les animaux.











La pudeur est embarrassante pour le zérotoutrond, la timidité l'intimide.

Il a été question d'Histoire des zérotoutronds mais le terme est impropre, cette discipline étant inconnue chez eux. Depuis la nuit des temps en effet, les zérotoutronds étant totalement dépourvus d'esprit d'initiative, rien n'a notoirement changé dans leurs mœurs ni dans leur environnement.  Le temps rond est circulaire.




(Simon Hantaï, Manuscrit illisible.)

La vie, c'est comme une forêt où, toujours, on découvre des poteaux indicateurs et des repères, jusqu'au moment où on n'en rencontre plus. Et la forêt est infinie et la faim ne cesse qu'avec la mort.

(On croit bien voir encore des signes ici ou là, un peu partout. Mais on ne sait pas les lire.

On n'est pas indien, c'est dommage.)

Je suppose que les morts sont assez peu inquiets.

 





DÉSIR DE DEVENIR UN INDIEN

Si pourtant l'on était un Indien, prêt aussitôt, et sur le cheval lancé à toute allure, penché en avant à l'oblique contre le ciel, secoué sans cesse d'un tressaillement rapide au-dessus du sol qui tremble, jusqu'au moment de quitter les éperons, car il n'y avait pas d'éperons, jusqu'au moment de rejeter les rênes, car il n'y avait pas de rênes, et l'on voyait à peine le pays devant soi comme une lande tondue à ras, et déjà sans encolure ni tête, le cheval.

AÏE




 

ZéROTOUTROND.COM